Conversations Cruciales

S’affirmer pour une femme est-il plus risqué que pour un homme ?

La recherche montre que les femmes qui disent ce qu’elles pensent sont plus exposées que les hommes.

Adaptation d’un article Crucial Skills publié par David Maxfield, chercheur en sciences sociales.

Une simple variation de formulation, aussi anodine que dire à un ami que « comparé à d’autres PDG, Monsieur Dupont (ou Madame Dupont1) impose son point de vue plus que d’autres PDG » suscite inconsciemment l’ami à respecter plus M. Dupont et moins Mme Dupont. Ce jugement implicite est uniquement fondé sur le sexe de la personne citée. Lumière sur cette différence de traitement.

Dire ce qu’on pense, avec fermeté et assurance, est plus risqué pour les femmes que pour les hommes. Encore aujourd’hui, nous sommes influencés par des stéréotypes culturels qui associent la féminité à la bienveillance et au consensus2.

Pour une femme, s’exprimer de façon affirmée transgresse par conséquent cette norme. En ce sens, une femme doit faire face à plus de critiques que ses homologues masculins.

Une femme au caractère trempé peut-elle réussir ?

Dans le cadre d’une étude de référence, Victora Brescoll et Eric Luis Uhlmann ont posé cette question :

Une femme au caractère trempé peut-elle réussir ?3

Leur recherche souligne d’une part les différences de perception sur la façon d’agir des hommes et des femmes au travail mais va également plus loin : les deux chercheurs ont exploré les raisons sous-jacentes à cette discrimination. Les résultats suggèrent que l’on attribue le mauvais caractère de la femme à sa personnalité :

elle a un caractère de cochon ou elle est ingérable

alors que pour des hommes on l’attribue à des circonstances extérieures

il est dans un mauvais jour ou il y avait urgence, quelqu’un devait s’en charger

Des recherches complémentaires menées par Crucial Learning (anciennement VitalSmarts) ont confirmé que les femmes sont jugées ne manière bien plus dure que les hommes. Ils ont voulu démontrer les effets de cette inégalité de traitement d’une manière fiable et explorer comment les réduire. 

Dans une première expérience, ils ont filmé des interactions dans un environnement de travail avec dans un premier temps une actrice puis ensuite un acteur se comportant exactement de la même manière dans un rôle de manager. Les deux utilisaient le même script et avaient été briefés de manière à ce que leur performance soit la plus similaire possible.

La seule différence résidait bien dans le fait que, dans un cas l’acteur était est un homme, et dans l’autre une femme. 4517 personnes ont participé à l’étude en tant qu’observateur. Après avoir visionné une scènette d’environ 30 secondes, ils ont évalué « le manager » à l’aide d’une grille composée de 20 questions.

Voici le résumé des résultats :

Perception de l’image : quand un homme dit ce qu’il pense, son image perçue est diminuée de 25%, quand une femme dit ce qu’elle pense, son image perçue est diminuée de 41%.

Perception de la compétence : quand un homme dit ce qu’il pense, sa compétence perçue est diminuée de 22%, quand une femme dit ce qu’elle pense, sa compétence perçue est diminuée de 35%.

Perception de la valeur (salaire mérité) : quand un homme dit ce qu’il pense, sa valeur perçue est diminué de 6 000$, quand une femme dit ce qu’elle pense, sa valeur perçue est diminuée de 15 000$.

Contrebalancer les préjugés sexistes

Dans une seconde expérience, nous avons ensuite testé si la manière d’introduire les choses pouvait réduire ces inégalités dans les jugements. Nous avons testé trois approches :

  • Un Cadrage du Comportement (Behavior Frame)
  • Un Cadrage basé sur la référence à des Valeurs (Value Frame)
  • Un Cadrage Inhibiteur (Inoculation Frame).

Cadrage du Comportement (Behavior Frame) : les acteurs décrivent ce qu’ils sont sur le point de dire avant de le dire :

Je vais exprimer mon opinion d’une manière très directe, je serai aussi précis que possible.

 Cadrage basé sur des Valeurs (Value Frame) : les acteurs décrivent leur intention en faisant référence à des valeurs avant d’exprimer leur désapprobation :

Je vois cela comme une question d’honnêteté et d’intégrité, il est donc important pour moi de partager en toute transparence mon ressenti.

Cadrage Inhibiteur (Inoculation Frame) : L’acteur féminin suggère qu’il peut être risqué pour une femme de parler ouvertement de ce qu’elle ressent :

Je sais que s’affirmer présente un risque pour une femme mais je vais exprimer mon opinion en toute transparence.

Dans le cadre de cette deuxième étude 7921 personnes ont évalué le manager dans les mêmes conditions que la première expérience. Chacune des trois approches ont eu un effet positif sur les résultats (voir graphe ci-dessous).


Cette étude montre que la manière d’introduire les choses contribue à diminuer l’effet de jugement et la sévérité de celui-ci dans le cas d’un manager femme :

Cadrage du Comportement (Behavior Frame) : Il précise clairement ce à quoi s’attendre et évite que l’interlocuteur ne soit surpris par l’aspect émotionnel ressenti dans une prise de position, limitant ainsi les jugements hâtifs et les conclusions négatives.

Cadrage basé sur des Valeurs (Value Frame) : il tente de rattacher le sentiment exprimé à une valeur qui est partagée avec l’interlocuteur et donne un éclairage positif à l’émotion exprimée. Celle-ci apparaît comme une qualité, comme s’il s’agissait d’un engagement personnel à vivre une valeur que l’on partage.

Cadrage Inhibiteur (Inoculation Frame) : Il alerte l’interlocuteur qu’il pourrait être inconsciemment influencé par un préjugé et le prédispose à évaluer de manière plus juste ou à tenter de suspendre son jugement. Nous avons été surpris par son effet positif mais sommes sceptiques quant à son utilisation répétée. Le cadrage inhibiteur pourrait être perçu comme un joker à utiliser pour une discrimination positive. Malgré ses bénéfices à court terme, en faire usage de manière courante peut aussi nuire à la réputation de la personne qui en fait usage.

Clarifier vos intentions avant d'exprimer vos pensées

Au final, que vous soyez un homme ou une femme, quand vous osez dire ce que vous pensez, vous vous exposez au jugement des autres, et si vous êtes une femme, vous êtes jugée plus sévèrement que si vous étiez un homme. Aussi pour prendre position ou débattre d’une idée, pensez avant de vous lancer, à clarifier le côté positif de vos intentions.

Après avoir testé les trois méthodes, Crucial Learning a conclu que les Cadrages de Comportements et Cadrage basé sur les Valeurs portent des fruits et peuvent être utilisés de manière répétée sans risque.

Le Cadrage Inhibiteur, quant à lui, fonctionne à court terme mais ils ne recommandent pas d’en faire usage de façon répétée.

Le jugement, la critique, les préjugés et les différences de perception entre une femme qui s’affirme ou un homme qui s’affirme détruisent des carrières et coûtent cher aux entreprises.

1 - Victoria L. Brescoll, “Who Takes The Floor And Why: Gender, Power, And Volubility In Organizations,” Administrative Science Quarterly, 56, no. 4 (2011): 622-641.

2 - Alice H. Eagly and Steven J. Karau, “Role Congruity Theory of Prejudice Toward Female Leaders,” Psychological Review, 109, no. 3 (2002): 573.

3 - Victoria L. Brescoll and Eric Luis Uhlmann. (2008). “Can an Angry Woman Get Ahead? Status Conferral, Gender, and Expression of Emotion in The Workplace,” Psychological Science, 19,no. 3 (2008): 268-275.

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